jeudi 18 avril 2019

II.2 Problématiques de rééducation par « geste thérapeutique ».


A écouter le patient, les familles ou l’entourage on est souvent surpris d’entendre « il fait des progrès » alors que le kinésithérapeute a bien souvent l’impression qu’il n’y a aucun progrès au niveau de la motricité. A travers les quatre types d’évolution motrices décrits par Sultana et Mesure essayons maintenant de dégager les différents progrès rencontrés.

II.2.1 Progrès Neurobiologiques

Progrès neurobilogiques spontanés

Dans les cas de traumatismes ou d’AVC, il peut y avoir un diaschisis, une sidération de neurones sans lésion. En quelques heures, jours ou semaines, la sidération se lève et tous les neurones retrouvent leurs fonctions. On peut alors parler de « récupération » puisque le patient récupère la totalité des circuits qui étaient les siens avant l’accident. Ce type de progrès est limité dans le temps (en AVC, il intéresse 50% de la population survivante. On considère qu’il n’excède pas un mois. (HAS 2012) [1]

Progràs neurobiologiques par Utilisation . Neuroplasticité

Dans le cas où il y a eu lésion neuronale, il y a aussi sidération. En fait il y a une extension de l’effet lésionnel au-delà du territoire lésionnel puis après quelques temps, il y a levée de la sidération. Mais cette fois la récupération neurobiologique est incomplète Les neurones sidérés reprennent du service, mais les neurones morts n’assurent plus. On peut faire le bilan des déficiences. Le patient a alors un patrimoine neuronal réduit par rapport à ce qu’il était avant. Il est obligé d’inventer des solutions nouvelles avec les neurones restants. Mais il va y avoir aussi remaniements des structures neurobiologiques sous l’effet de la rééducation. (Yin 2013) [2], (Nudo 2013)[3]. Les progrès sont dus aux effets de la rééducation (voir 2.4) et aux actions que le patient mène pour accéder à son autonomie (voir plus bas (2.2). Ces progrès d’auto-organisation ne sont pas limités dans le temps et reposent principalement sur deux mécanismes :
- Synaptogénèse: l’activation ou la fabrication de nouvelles synapses avec les neurones restants.
- la vicariance qui met au « travail » des neurones qui n’étaient pas précédemment dévolus à ce territoire
- la neurogénèse est pour l’instant anecdotique. Elle existe de façon naturelle (mais limitée à quelques neurones spécifiques et dans un temps de renouvellement très long : 1% en 100 ans)[4].
Dans tous les cas, ces circuits supplétifs, même s’ils permettent des améliorations conséquentes sont loin d’apporter la qualité de mouvement des circuits précédents.
Quand on prête de l’argent à quelqu’un qui n’en rend qu’une partie, on ne dit pas j’ai récupéré mon argent. On dit je n’en ai récupéré qu’une partie. Quand le patient parle de « récupération », sans rajouter « partielle » on peut penser qu’il sous-entend « comme avant ! ».  Sans le contrarier, je préfère reformuler et parler de progrès d’«amélioration». En revanche, il peut y avoir une ambigüité sur la récupération de la « fonction » marche.  La personne récupère la « fonction » marche, mais elle n’en « récupère » pas la circuiterie qu’elle avait auparavant et sa façon de marcher
  Ce n’est pas une re-éducation, elle ne repasse pas par les mêmes chemins. Elle crée de nouveaux circuits. C’est en fait une «Néo-Education». Cette nouvelle éducation se fait par compensation qui a une connotation négative alors que l’« auto-organisation » (dont on reparlera plus bas, 3.4) entraîne le patient dans une conquête spécifique. Compensation fait référence à un manque et laisse un regret. L’auto-organisation est un mécanisme positif individuel qui laisse la porte ouverte à l’espoir.

 II.2.3 Progrès d'Autonomie dans la vie Quotidienne (spontanés ou induits par l'équipe)

La personne cherche à retrouver son autonomie (manger, boire, éliminer, toilettes, habillage, déplacements) Pour réaliser ces progrès, elle peut mettre en place deux types de compensations :
-          La compensation excluant le segment déficitaire (exemple elle coupe sa viande d’une main avec un couteau fourchette ou bien elle se déplace en fauteuil roulant sans ses jambes.
-         Ou bien elle met en place une compensation incluant le segment déficitaire dans un mode opératoire qui n’était pas le sien auparavant. (Ex, elle tient sa fourchette en prise grasp pour couper la viande de l’autre main, ou elle marche en fauchant avec sa jambe déficitaire.
Dans les premières semaines de son atteinte motrice, le patient se rééduque à manger en mangeant, à se laver en se lavant et à s’habiller en s’habillant. Ces situations ne sont pas conduites par des professionnels de la rééducation (ergo ou kinésithérapeute), mais le plus souvent par des infirmières, aides-soignantes voire auxiliaires de vie qui les aident et les encouragent à s’autonomiser pour qu’elles puissent consacrer leur temps à d’autres patients plus dépendants. Le patient se trouve pris dans une situation écologique où ses capacités individuelles sont prises en compte dans une réalité collective de capacité du service de soin.
            Dans certains cas, ces progrès spontanés d’autonomie ne se font pas car la personne est dépressive. C’est l’équipe soignante qui va contenir le patient en l’aidant à prendre sa part dans la reconquête de l’autonomie. Ce que Winnicott appelait « holding » et « handling ».[5]
Progrès spontanés de reconditionnement à l’effort.
Le personne frappée par une lésion cérébrale ou médullaire, connait une période plus ou moins longue de sédentarité qui entraine un déconditionnement à l’effort. (Learned non use. Taub 1994)[6] Cherchant à récupérer peu à peu son autonomie, la personne se reconditionne ainsi spontanément à l’effort. (Amélioration du périmètre de déplacement etc.)

II.2.4 Progrès artificiel de reconditionnement à l'effort 

On peut tenter d’enrayer « l’apprentissage du non usage » par un reconditionnement avec des séances d’entrainement à l’effort au cyclo-ergomètre incluant ou pas les segments déficitaires (II.2.3. compensations excluantes). Le réentrainement artificiel à l’effort avec compensations incluantes sera l’objet du chapitre suivant et sera plus largement développé dans le chapitre III.


II.2.5 Progrès de rééducation  motrice  
passée la phase sub-aiguë, on peut considérer deux périodes dans l’évolution d’un patient chronique cérébrolésé :
- une phase d’amélioration de l’autonomie dans les Activités de la vie quotidienne (AVQ) se laver, s’habiller, manger, se déplacer.
- suivie d’une phase de stagnation de ces capacités d’autonomie
Passée la période d’amélioration des AVQ, il va falloir prendre des objectifs prophylactiques dans quatre secteurs dont nous mesurerons l’évolution avec soin, afin de traquer les régressions éventuelles qui ne manqueront pas de restreindre sa participation.
 Nous avons partagé nos actions thérapeutiques en quatre parties qui reposent sur des objectifs et des moyens, des gestes professionnels spécifiques 
- Perfectionnement ou entretien d'habiletés segmentaires pour pallier à la diminution de ses capacités motrices. Principalement axées sur les segments déficitaires
- Etirements contre les rétractions  musculaires et conjonctives articulaires.
- Education à l'équilibre postural pour entretenir ou acquérir et perfectionner un maximum de positions du répertoire locomoteur
- Entraînement au déplacement fonctionnel et performant en fauteuil ou debout, pour entretenir voire améliorer vitesse et périmètre de Marche.
 Ces quatre problématiques correspondent à des gestes techniques d’évaluation et de traitement que le kinésithérapeute connait.  Dans chaque secteur les performances sont encouragées et seront consciencieusement notées. Elles constitueront le suivi méthodique des progrès, des stagnations et régressions.  Chaque patient ayant un profil moteur particulier, il faut donc lui établir un programme particulier pour effectuer un suivi longitudinal.
Essayons d’analyser maintenant les facteurs pouvant influencer ces traitements.

II.2.6 Facteurs influençant l'état des patients après un traîtement . Effets placebo.

Dans son ouvrage sur les relations entre croyance et médecine",le professeur Autret [7] définit cinq facteurs influençant l’état d’un patient.  
-           l’évolution naturelle d’une maladie,
-          l’effet biologique du traitement,
-          « les facteurs non spécifiques :
o    Psychologiques : « dans le cadre d’une écoute bienveillante, le patient peut verbaliser ses soucis. Cet effet psychologique non spécifique est d’autant plus important que les contacts sont nombreux comme dans les thérapeutiques par le toucher ». (kinésithérapie)
o   Comportementaux : « liés à l’amélioration consciente et volontaire de l’hygiène de vie à l’occasion de l’acceptation d’un nouveau traitement. »

Alain Autret précise un peu plus bas : « les psychothérapies sont des interventions volontaires orientées par une base théorique pour modifier un comportement ou un mode de pensée pathologique. L’effet psychologique non spécifique résulte simplement d’une prise en considération empathique du patient. Enfin, il faut réserver le mot placebo à l’attente d’effets bénéfiques liés à l’idée de recevoir un traitement précis et au conditionnement qui regroupe les effets bénéfiques liés à la répétition des procédures ». 

-     l’effet placebo lié à l’attente à l’idée de bénéficier d’un traitement donné. Cet effet placebo n’est pas purement « imaginaire », il est il est producteur d'endorphine et dopamine qui sont objectivées par l'admission de substances antagonistes naloxone
o   S’occuper d’un patient est plus efficace que le mettre sur liste d’attente
o   « L’annonce conditionne aussi la qualité de l’effet placebo », des exercices de gymnastique provoquent une amélioration psychologique dans le seul groupe où cet effet a été annoncé.[8]
o   La complexité du traitement améliore son effet : plusieurs protocoles ont montré que chez des personnes souffrant de douleurs articulaires, la perfusion placebo, l’acupuncture placebo ou la crème placebo appliquée localement sont plus efficaces que la pilule placebo ingérée per os.
o   L’effet praticien : « la façon de donner vaut mieux que ce que l’on donne » :
Sur une population souffrant de vessies irritables, un traitement par pseudo-acupuncture associé à une prise en charge empathique et chaleureuse était plus efficace qu’une pseudo-acupuncture sèche, lui-même supérieur à une la simple évolution spontanée de l’affection.

-          l’effet placebo lié au conditionnement.
« Il existe un deuxième effet placebo lié à la répétition, il n’est pas associé à une attente consciente et ne dépend pas de la libération d’endorphine ». « La répétition de l’administration (ou conditionnement) engage le patient dans une activité rituelle. Face à la procédure répétée l’organisme a appris à répondre favorablement. » (La rééducation motrice est un conditionnement). L’effet placebo lié au conditionnement n'est pas opioïdergique.  Un agent opioïdergique  est une substance chimique qui modifie directement les systèmes neuropeptidiques opioïdes (endorphine, enképhaline, dynorphine, nociceptine) dans le corps ou le cerveau. Les exemples incluent les analgésiques opioïdes tels que la morphine et les antagonistes des opioïdes tels que la naloxone).

Comme le rappelle le professeur Autret: l'effet placebo lié à l'attente , l'effet placebo lié au conditionnement, l'effet non spécifique psychologique et comportemental ne doivent pas être confondus et mélangés dans un ensemble informel que l'on globaliserait sous le terme effet placebo.
-          L’effet placebo lié à l’attente est opioïdergique et dopaminergique.
-          L’effet placebo lié au conditionnement n’est pas opioïdergique
-          L’effet non-spécifique psychologique n’est pas opioïdergique. Il est en relation avec les dysfonctionnements générant l’anxiété qui implique d’autres neurotransmetteurs , telle la sérotonine.
-          L’effet non-spécifique comportemental fait intervenir la réduction de multiples facteurs de risques. »

 A contrario, il évoquait aussi l’effet nocebo comme une annonce négative qui entraîne une aggravation du désagrément ressenti.
Il s’agit donc pour le kinésithérapeute d’utiliser à fond mais sans démagogie, tous ces facteurs qui viendront renforcer l’effet actif des exercices physiques choisis pour la rééducation.



[1] https://www.has-sante)..fr/portail/upload/docs/application/pdf/2012-11/11irp01_argu_avc_methodes_de_reeducation.pdf
[2] Yin, Y., Gu, Z., Pan, L., Gan, L., Qin, D., Yang, B., ... & Feng, Z. (2013). How does the motor relearning program improve neurological function of brain ischemia monkeys?. Neural regeneration research8(16), 1445.
[3] NUDO, Randolph J. Recovery after brain injury: mechanisms and principles. Frontiers in human neuroscience, 2013, vol. 7.
[4] De Chevigny, A., & Lledo, P. M. (2006). La neurogenèse bulbaire et son impact neurologique. médecine/sciences, 22(6-7), 607-613.
[5] Winnicott, D. W. (1956). La préoccupation maternelle primaire. De la pédiatrie à la psychanalyse, 1969, 285.
[6] Taub, E., Crago, J.E., Burgio, L.D., Groomes, T.E., Cook III, E.W., DeLuca, S.C. and Miller, N.E., 1994. An operant approach to rehabilitation medicine: overcoming learned nonuse by shaping. Journal of the experimental analysis of behavior61(2), pp.281-293.
[7] Autret A. Les effets placebo: des relations entre croyances et médecines. Editions L'Harmattan; 2013.
[8] Cité par Autret : Desharnais R, Jobin J, Côté C, Lévesque L, Godin GA. Aerobic exercise and the placebo effect: a controlled study. Psychosomatic medicine. 1993 Mar.

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Qui êtes-vous ?

Francis Laurent Kinésithérapeute à Bordeaux Enseignant en neurokinésithérapie dans les écoles de Bordeaux, Bègles, Dax, Poitiers et DU Paris Est Créteil. Formateur pour Mulhouse Alister et Bordeaux FCS http://www.alister.org/formations/reeducation_kinesitherapie_hemiplegie_chronique Bordeaux http://www.fcsante.org/programmes/hemiplegies.pdf