samedi 6 avril 2019

III.3.6. Neuro-Réhabilitation Posturo-Segmentaire de Groupe

(Atelier présenté au congrès SFP de Lille 2015)

Le point de vue du kiné.
J’ai travaillé en rééducation neurologique en court séjour à l’hôpital, en moyen séjour en centre et en libéral. Dans ces trois modes d’exercice j’ai toujours manqué de temps pour faire à chacun la rééducation qui conviendrait. Mon choix n’a jamais été de faire l’impasse sur des patients pour mieux répondre à certains. A l’hôpital comme en centre, j’ai tenté de  répondre à toutes les demandes. J’ai dépassé parfois les 35 actes par jour en 8 heures. Soit beaucoup plus qu’en libéral en 10 heures et demi quotidiennes.
A l’hôpital comme en centre il semble nécessaire afin de favoriser l’apprentissage de faire des séances collectives qui assureraient un tronc commun d’exercices rééducatifs ou prophylactiques nécessaires. Ensuite on peut compléter par des exercices spécifiques en séances individuelles.
Le point de vue du patient.
Les patients ont la conviction que la rééducation doit leur enseigner le « mouvement correct ». Le kinésithérapeute est ce « professeur de gymnastique médicale » qui va répondre à cette demande. (II.3.15). Ce type de séance répond à cette attente du patient. C'est  la "gymnastique suédoise" de Pehr Henrik Ling [1]  adaptée à la Neurologie. L'attention est focalisée sur le mouvement déficitaire. On est dans la morphocinésie, (II.3.2) on s'applique à corriger la forme sans la fonction. 
Certains patients croient réaliser des "gainages abdominaux" ou des « abdo-fessiers » (fleuron des salles de sports) ou du stretching. Mais comme le disait Beevor, le cerveau ignore le muscle, il ne connait que le mouvement. Alors d'autres préfèrent y voir du « pilates » ou du hatha yoga.L'objectif est de refaire l'inventaire des points d'appuis et postures. Chaque patient ensuite compose sa mayonnaise motivante. 

          L’idéal serait d’avoir des groupes de niveau, mais la pratique libérale et les emplois du temps des patients et des transporteurs ne permettent pas de faire des groupes homogènes. Il a donc fallu construire deux types de groupes : ceux qui marchent et ceux qui sont en fauteuil.
Chacun des deux groupes suit la même progression, c’est le rythme de la séance qui change. Mais on peut avoir dans le même groupe des personnes avec des atteintes pyramidales, extra-pyramidales ou ataxiques. Chronologiquement nous avions commencé par des séances de groupe avec les extra-pyramidaux et les ataxiques car la présence des hémiplégiques cassait le rythme de la séance au moment où l’on arrive à la position 4 pattes.
Puis, à cause des contraintes d’horaires et de pluridisciplinarité, nous avons été forcés d’y intégrer des hémiplégiques. Nous avons alors façonné la séance pour que tous les exercices effectués intègrent, « incorporent » à la posture travaillée le membre supérieur déficitaire habituellement délaissé . Selon les exercices, il faut adapter l’espace pour que le groupe puisse faire le même type d’ exercice au même moment

Couché sur le dos: on débute la séance systématiquement sur le dos les mains accrochées à l’espalier et l’on commence par des mouvements de jambes, en abduction, genoux tendus.
Chandelle avec appui des pieds
Aménagement Matériel du Milieu (AMM): il a fallu attacher la main déficitaire sur une poignée de bois accrochée au barreau de l’espalier . La réaction spastique à l’élévation des membres inférieurs fait participer le membre supérieur droit à l’exercice. Ici le membre inférieur droit se tend incomplètement. Ce n’est pas grave on encourage la patiente à faire ce qu’elle peut : 100% du possible.
-          puis chandelle (avec appui à l’espalier si nécessaire),
-          - puis chandelle (avec appui à l’espalier si nécessaire), 
-                      rotations du bassin : (AMM : il a fallu attacher la main déficitaire sur une poignée de bois accrochée au barreau de l’espalier, afin que la personne s’auto-étire le membre supérieur droit lorsqu’elle tourne son bassin à gauche.
-          Exercice de french cancan en pont. On décolle le bassin et on lance l’autre jambe le plus haut possible.


Retournement et travail latéral.

Couché sur le côté o en appui sur coude (Atelier 4)

Grands mouvements de membre inférieur en avant en arrière du tapsi, lesté ou pas à la cheville, croisé ou pas avec le membre supérieur.


A plat ventre, 
extension du tronc, des membres supérieurs et inférieurs. L’idée est de bouger au sol, en variant les points d’appui.

Assis, étirements des membres inférieurs (Répertoire )

4 pattes. (Atelier 6) Suivant le niveau et la qualité des appuis on demande de faire des ruades : détendre  10 fois le membre inférieur afin de provoquer une déstabilisation extrinsèque.
Puis refaire le même mouvement en y associant le membre supérieur opposé.

Puis le membre inférieur ipsilatéral . Il est évident que ces exercices n’ont pas d’application fonctionnelle directe. Nous ne les considérons pas comme des « habiletés transversales » que l’on pourrait utiliser ensuite dans des mouvements debout.. Dans ce type d’exercices nous recherchons des habiletés « morphocinétiques ». Le patient cherche à reproduire la forme du geste. Il n’y a pas d’autre objectif que de faire « joli ». Cela flatte ainsi sa recherche du mouvement correct. Ces exercices ne sont là que pour passer du temps à quatre pattes, cette position incontournable lors des chutes avant et des relever du sol. Travaillant ces multiples figures, le patient renforce ainsi ses capacités d’appui sur paume de main.
Ceux qui ne peuvent prendre appui sur leur paume de main, le font sur l’avant bras et ceux qui n’y parviennent pas,(hémiplégiques ou hémiparétiques)  s’exercent à pousser une tonne d’appui sur la balance (100 poussées de 10 kg ou plus) , pour renforcer les tissus conjonctivo-musculaires de leur membre supérieur déficitaire.

Appui Facial, Mowgly Marche de l'ours ou du petit chien (Atelier 7)
Ces exercices ont pour but de renforcer l’appui sur les membres thoraciques afin de rendre les protections à la chute et les actions de relever plus efficaces. On demande des faire des pompes adaptées : poser les genoux au sol et les tendre ou poser le bassin au sol et le décoller ou poser la tête au sol et décoller. Si ce n’est pas possibles sur les mains, on relève l’appui des mains ou ils essaient de les faire sur les avant-bras. 
  
Trépied sur pied : Puis afin de créer des déséquilibres intrinsèques on propose de faire 10 flexions-extensions d’un membre inférieur pour renforcer l’appui sur avant pied, et sur les deux membres supérieurs.

Trépied sur main : on demande de lever une main, la force nécessaire est alors de 2/3 du poids du corps. Certains patients hémiplégiques massifs ont au préalable  renforcé leur appui sur main à la « tonne sur balance » à l’aide d’une orthèse de coude qui vient aider à étirer en charge les fléchisseurs palmaires. (photo)




Appui dorsal ou Araignée.

Afin de favoriser les protections arrières en cas de chute, il  est intéressant de renforcer égalemement la position Araignée. Assis décoller le bassin, se déplacer en avant arrière, à droite à gauche

 

Enfin,il est intressant de les mettre entièreemnt en charge sur les mmembres supérieurs (ci-contre à droite) 
Beaucoup d’hémiplégiques massifs parviennent à tenir leur équilibre sur les deux avant-bras  voire sur les mains pour ceux qui ont retrouvé une motricité suffisante.  

Suspensions totale ou partielle (paresseux). (Atelier 8)


L’être humain nait avec la capacité de se suspendre par ses mains (grasping). Il est donc intéressant de vérifier que cette capacité est toujours réalisable en demandant à la personne de se pendre face à l’espalier.
Les plus forts pourront réaliser des tractions statiques. D’autres seront même capables d’avancer en « singe » sous les mains (brachiation)

Pour les moins forts on peut recourir à la position dite du « paresseux ». Le paresseux a les pieds et mains accroché à la même branche. Ici on permet de laisser les pieds au sol. Il s’accroche par les mains à une échelle horizontale et décolle son bassin en poussant sur ses pieds. On peut demander alors un décollement simple du bassin, des tractions  ou des déplacements latéraux.
Ceux qui ne peuvent tenir serrée la barre dans leur paume de main, (hémiplégiques)  s’exercent à tirer une tonne d’appui au dynamomètre (100 tractions de 10 kg ou plus) , pour renforcer les tissus conjonctivo-musculaires de leur membre supérieur déficitaire.


A genou et Amazone (Atelier 10) 

A genou est souvent la première position de bipédie : les pyramidaux ne sont pas gênés par l’équin spastique. Les ataxiques sont près du sol. Le bassin est horizontal, le tronc se connecte aux cuisses. On pourra ainsi se risquer à avancer ou reculer ou pivoter en bipédie.
Amazone : on part de la position « petite sirène », assis latéral en appui sur la main et on retire la main. Il faut une bonne souplesse de la dissociation des ceintures et une bonne intervention de la musculature haubanant le tronc au bassin.


Chevalier servant, (Atelier 11) 


Trop souvent le chevalier servant est considéré comme la position servant à se relever. Seuls les jeunes peuvent se relever ainsi. Les déficitaires pyramidaux, extra-pyramidaux ou ataxiques sont le plus souvent trop faibles pour se relever ainsi. (Voir plus haut III.3.5) On considère le chevalier servant comme une position de descente au sol et non comme une position de redressement (Voir III.3.3). C’est une position qui permet de poser un genou à terre lors d’une descente ou chute latérale (Voir plus haut III.3.4).
Il est donc important de retrouver ou d’entretenir cet équilibre sur chaque genou, puis de travailler l’extension du tronc et l’avancée du bassin, les rotations du tronc.

 

Accroupi (Atelier 12) 

La position accroupie est souvent douloureuse pour les genoux. Il est pourtant nécessaire que les patients s’y réexercent ! « Mais ça me fait mal !
-c’est justement pour cela qu’il faut la travailler. Est-ce normal que votre corps ne vous supporte plus ! Ce n’est pas neurologique, c’est articulaire. Il faut donc retravailler la souplesse articulaire dans cette position. Sinon, vous la shunterez en chute arrière et vous tomberez droit comme une planche et ça fera très mal à la nuque. Le cerveau va restreindre votre locomotion afin de ne pas vous mettre dans cette situation. « Le cerveau a ses raisons que la raison ignore »[2].C’est pour cela qu’il faut retourner travailler accroupi. »


Relever et descentes au sol

(Voir III.3.2). On passe en revue les 4 descentes au sol et se relever par le chemin inverse :
-           en avant tomber sur les genoux, puis mettre les mains et se relever par le chemin inverse
-          En  arrière s’accroupit et s’assoit en mettant une main en arrière,  et se relève par le chemin inverse
-          latérale poser le genou droit au sol , puis la main droite puis la fesse droite  et se relever par le chemin inverse. Idem à gauche.  

Debout pieds écartés (Atelier 15) 

Le polygone mesure environ 1000 cm² avec 15 cm entre les talons. (Atelier de Position 15). C’est la station debout, la position finale du redressement. Mais ce n’est pas une bipédie dynamique. C’est une bipédie statique qui n’est là que pour préparer la position suivante. On prépare l’unipodal par  l’Ajustement Postural Anticipateur (APA) transfert latéral du bassin (hancher, flexion du genou, flexion plantaire fente)

 

Debout sur polygone de marche, un pied devan tl'autre (Ateleir 16) 

(Atelier de Position 16). Le polygone mesure environ 600 cm² avec moins d’ 1 cm entre les talons et une longueur entre talon arrière et pointe avant d’environ 75 cm. (Longueur du pas,).
C’est la photo instantanée du double appui antérieur de réception (heel strike ) et du double appui postérieur d’élan (Heel off). On vérifie que le patient a bien la capacité de tenir mécaniquement sur ces appuis.  Dans le cas où il n’y parvient pas, on se sert de ce répertoire de positions pour lui faire prendre conscience de son incapacité. Exemple, il peut attaquer 10 fois du talon mais à la onzième fois, son avant-pied s’affaisse et deux ou trois attaques plus tard, il est dans ‘incapacité d’attaquer du talon. Il va donc chercher à s’entrainer pour récupérer la capacité d’attaquer du talon normalement » (C’est-à-dire des milliers de fois sur une promenade d’une heure). Il va constater alors ce qui sépare la réhabilitation neurologique de la représentation qu’il avait de la rééducation (essentiellement traumatologique).  Il constate ce qui sépare le défaut de la déficience. Il constate que sa répétition corrigée du mouvement est limitée en quantité. Sa perte neuronale l’empêche de multiplier à l’infini l’attaque du pas pour atteindre l’automatisation.
Ces exercices sont faits pour qu’il prenne conscience du nombre de fois qu’il peut réaliser la consigne. Donc contrairement aux pratiques habituelles de kinésithérapie, ces exercices sont faits pour qu’il prenne conscience de son incapacité à automatiser la correction. Au-delà de quelques répétitions il ne peut plus dérouler son pas « correctement ». On lui a donné des éléments pour cheminer dans son processus intime de deuil. Pour le rendement de ses déplacements il vaut mieux qu’il s’abandonne à l’auto-organisation de sa marche.
Mais restera le discours de l’esthétique. Certains patients croient gommer leur incapacité et peut-être vaut-il mieux leur laisser leur illusion de correction.

Unipodal (Atleir 17) 

L’équilibre unipodal apparait après la marche chez l’enfant. Mais il est important de le travailler chez l’adulte déficitaire afin de le mettre en charge. Nous avons développé toute une suite d’habiletés qui visent à mettre progressivement le nombril au-dessus du pied déficitaire. (. Voir plus bas III.3.9. Aménagements particuliers pour acquérir l’équilibre unipodal. Atelier 17

Cloche pied (Atelier  19)

Le cloche-pied apparait tardivement chez l’enfant : 4 ans pour le premier, 5 ans pour le second, il sera aussi le premier à disparaitre chez la personne âgée ou le parkinson.

III.3.7 Espace de rééducation à l'équilibre 

Technique habituelle du kinésithérapeute pour empêcher la chute : c’est une technique implicite. Dans la plupart des cas, le kiné place le patient dans des barres parallèles et l’encourage à se lâcher en faisant barrage de ses bras en avant et en arrière. C’est la technique que j’utilisais jusqu’au jour où un malencontreux appel m’a fait tourner la tête une fraction de seconde, quand je revenais vers mon patient, celui-ci tombait vers l’arrière. J’ai lancé mes mains dans le vent et le patient est tombé assis : fracture tassement de la 5ème lombaire. J’ai donc décidé que puisque je n’étais pas fiable, j’allais créer un espace où le patient ne ferait confiance qu’à lui, et s’il échoue, il faut que la chute ne soit pas dangereuse afin de pouvoir retenter l’expérience.
Postures d’équilibre et Feed Back :  Il existe bien des instruments posturaux qui sont utilisés tant pour le diagnostic que pour le jeu. Mais ce sont des outils pour travailler la bipédie. (Posturographe, Wii, etc.) Mais ils ne concernent que les patients qui savent déjà tenir debout. Ce sont des outils de perfectionnement qui utilisent en feed back une attention ciblée sur l’écran ou une cible. C’est une attention externe, sauf qu’au lieu de lui apprendre à trouver un équilibre compensé par le regard fixé sur un point fixe, on le conditionne à faire confiance à la machine plutôt qu’à son regard pointé sur une cible. Est-ce une étape utile ?
Très différente est l’orthèse de Bon Saint Come[3] car dans ce cas l’attention est directement focalisée sur la cible et la personne ne contrôle pas les moyens qu’elle utilise. La personne gagne du temps car sa motricité est d’emblée automatique.
Ces outils sont des outils de perfectionnement mais ils ne nous disent rien sur la façon dont le patient a initié sa bipédie.





[1] Ling PH, Rothstein H, Roth M. The gymnastic free exercises of PH Ling. 1853.
« Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. » -Blaise Pascal 1623-1662 - les pensées.-
[3] De Seze, M., Wiart, L., Saint-Côme, A. B., & Barat, M. (1998, January). Rééducation des troubles du tonus postural de l'hémiplégique vasculaire. Étude contrôlée orthèse de rotation axiale du tronc contre rééducation traditionnelle. In Annales de readaptation et de medecine physique (Vol. 41, No. 6, pp. 335-336). Elsevier Masson.

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Qui êtes-vous ?

Francis Laurent Kinésithérapeute à Bordeaux Enseignant en neurokinésithérapie dans les écoles de Bordeaux, Bègles, Dax, Poitiers et DU Paris Est Créteil. Formateur pour Mulhouse Alister et Bordeaux FCS http://www.alister.org/formations/reeducation_kinesitherapie_hemiplegie_chronique Bordeaux http://www.fcsante.org/programmes/hemiplegies.pdf