La première définition donnée par google est : « Action de
marcher, mode de locomotion constitué par une suite de pas. »
Larousse rajoute deux précisions: mouvement acquis en général
au cours de la deuxième année, permettant le déplacement du corps sur les deux
pieds, dans une direction déterminée.
Et je rajouterai dans le cadre de la rééducation neurologique
centrale :
Marcher c’est aller
quelque part pour y faire quelque chose. Ce qui nécessite une circuiterie spécifique.
Il y a donc trois façons de marcher :
-
marcher en étant attentif à la direction, (attention
externe)
-
marcher en étant attentif à ce que l’on va faire
à l’issue de la marche, auquel cas les deux premières façons de marcher sont gérées
par les automatismes.
-
marcher en étant attentif à la façon dont pose
les pieds ou dont on lance la jambe (attention interne)
Demande du patient .
Dans sa théorie du désir mimétique René Girard[i] parle du désir de « faire
comme tout le monde » à travers un médiateur interne ou externe. C’est
aussi une demande récurente des patients parétiques. Plus que la demande de
marche fonctionnelle, les personnes parétiques cherchent à gommer leur boiterie
pour devenir conforme et se fondre dans la masse. Appliquant la théorie de
Girard aux sciences de l’apprentissage, Giacomo Rizzolatti[ii]
a montré que l’image mentale d’un mouvement à exécuter se construit par
imitation de l’expérimentateur. C’est pourquoi, il nous parait fondamental de
travailler sur le modèle que nous donnons au patient parétique.
Le patient nous
demande de « bien » marcher afin d’améliorer son efficacité et de
gommer la boiterie qui dénonce tout de suite son atteinte neurologique à
l’entourage. Le patient demande au kinésithérapeute les bons gestes. Il y a alors
les kinés qui adhèrent à cette façon de penser et ceux qui n’adhèrent pas et qui
pensent que « La meilleure façon d’marcher, c’est de mettre un pied d’vant
l’autre et de recommencer »[1]
Approche restauratrice et compensatoire.
La HAS décrivait deux grandes conceptions de la rééducation neurocentrale[2] :
l’approche restauratrice de type Bobath qui cherchait à restaurer le mouvement
en s’approchant le plus près possible des schémas antérieurs. L’approche compensatoire
consiste à développer le plus possible la gestuelle compensée du mouvement.
Il en résulte quatre façons d’aborder la rééducation à la marche
:
-
L’apprentissage séquentiel où l’on découpe la marche en phases que
l’on fait répéter au patient pour qu’il incorpore ses appuis déficitaires :
double appui, simple appui, balancement de chaque côté.(Ateliers 16 et 17).
o
Par attention interne [3]: on demande au patient de focaliser son
attention sur la correction du corps. ( Ce n’est pas le procédé que nous
employons préférentiellement).
o
Par attention externe On lui demande de focaliser son attention sur
la cible (endroit où il lance son pied, intensité
du geste, (attention externe, c’est le procédé que nous employons le plus
souvent).
-
L’apprentissage global où l’on demande au patient de marcher
pendant 6 minutes ou sur une certaine distance. Mais là encore il y a deux
façons de procéder :
o On demande à la personne de focaliser son
attention sur la correction du corps (attention interne) (Ce n’est pas celle
que nous ne préconisons pas car elle ralentit la vitesse de marche).
o on lui demande de se concentrer uniquement
sur la trajectoire afin d’ »aller le plus vite possible sans tomber ».
(attention
externe) (C’est le procédé que
nous préconisons).
III. 4.1 Correction de la Marche par l’apprentissage
séquentiel
- Apprentissage séquentiel des phases de la marche
en attention interne.
Atelier 16.2 p17. Attaque
du talon.
On
demande au patient de faire des oscillations antéro-postérieures de son pied
droit en arrière sur son pied gauche à l’avant. Il n’a le droit de poser que le
talon du pied droit au sol, en revanche il peut retomber sur son pied gauche à plat. On lui demande de faire le
plus possible d’attaques du pas antérieur sur talon (heel strike). Prenons l’exemple
d’un patient parétique qui peut attaquer 7 fois du talon. A la huitième attaque
en attention interne, son pied tombe à plat.
Après quelques
semaines d’entrainement il double sa performance et peut attaquer 14 fois du
talon en attention interne et il ne progresse plus. Soit 14 enjambées déficitaires
+ 14 enjambées valides = 28 pas x 0,75m = 21 mètres. Après, le patient retrouve
son steppage qu’il essayait de corriger.
Sa distance corrigée (avec attention interne) était de 10,5 mètres, elle
est désormais de 21 mètres.
Pendant
les deux premières années de ma carrière, j’ai multiplié ces exercices sur les
patients parétiques pensant qu’à force de répéter ils allaient automatiser. (Jusqu’à
5 heures par jour). Or ça ne se situe
pas au niveau de l’automatisation. Ça se situe au niveau du nombre d’unités
motrices en fonctionnement. Je confondais défaut et déficience. On
n’entraine que les fibres musculaires innervées par les unités motrices répondantes.
Mais l’entrainement musculaire donne très vite ses limites si d’autres fibres
musculaires ne prennent pas le relais. Et elles ne prennent pas le relais, faute
d’innervation. Le côté positif de cette méthode, c’est que le patient finit par
admettre les limites de l’entrainement séquentiels et se résigne « à
faire avec » ce steppage ou ce fauchage. C’est l’adaptation nécessaire.
(Deuil de récupération, mas pas deuil d’amélioration).
De plus
marcher en attention interne est une habileté discrète or la marche
fonctionnelle est une habileté continue, car on ne peut avoir une attention
soutenue sur la façon de marcher. En marche fonctionnelle on pense à autre chose.
- Apprentissage séquentiel des phases de la
marche en attention externe
On conserve
ces exercices de marche séquentielle car ils sont voulus par le patient qui
souhaite améliorer son esthétique. (habileté morphocinétique). Comme on
ne peut aller contre son désir (Giordan 2017) [4],
on lui concède ces exercices séquentiels avec attention pour qu’il accepte de libérer
son attention lors de l’épreuve de marche globale à l’extérieur. Dans ces exercices séquentiels le patient fixe
son attention sur la correction de son
segment déficitaire.(attention interne). Nous préférons le polariser sur la cible :
(distance, nombre, rythme, attention externe),
pour dériver son attention de son déficit.
Ces exercices
n ‘obtiennent pas l’amélioration esthétique que le patient attend mais ils lui
apportent une connaissance du résultat négatif. Malgré son acharnement, il n'arrive pas à masquer la déficience. Pire, les efforts faits pour la masquer ne s'automatisent pas et altèrent sa performance. L'exercice échoué servira de matériau psychologique
pour le deuil et l’acceptation de cette auto-organisation spontanée qu’il refuse pour l'instant. Au contraire il va continuer à esssayer de porter son attention sur un point du corps dans l'épreuce suivante.
III.4.2 Correction de la marche par apprentissage
global avec attention interne
« Les patients hémiplégiques
marchent en moyenne 2800 pas alors qu’améliorer sa santé nécessiterait 10000
pas [5]»..
Fauchage ou steppage sont des adaptations
à la déficience (que certains kinés appellent défaut. Pour les corriger, le
patient ralentit sa marche. Il y parvient parfois, mais après quelques pas
l’adaptation revient. Un patient peut focaliser son attention sur
quelques pas, mais il ne peut focaliser son attention sur 1333 pas pour faire 1
km ( CIH d4501) (Attention
soutenue). L’attention interne est inefficace pour corriger
la marche. Le patient ralentit sa marche pour corriger un segment, ce
sont trois autres segments qui lui échappent. Il prend l’habitude
de ralentir la marche or l’urgence n’est pas de corriger quelques pas dans la
salle de kiné, l’urgence est de corriger cette désadaptation à l’effort. (Marsal
2013) [6]
L’urgence est de lui réapprendre à aller vite d’un point à
un autre pour que sa marche redevienne fonctionnelle le plus tôt possible.
L'attention
divisée sur plusieurs segments est a fortiori impossible. (Un sportif
de haut niveau soumis à 4 ou 5 heures d’entrainement quotidien ne se concentre
que sur un seul point du corps au cours d’une séance d’entrainement). On voit
mal comment une personne cérébrolésée pourrait faire mieux.
On explique donc au patient que l’on peut
utiliser l’attention lors de correction statique en salle, mais que c’est contre-productif
de l’utiliser en marche extérieure.
En revanche on va utiliser la correction par attelle qui elle est bien plus performante que l’attention pour placer le pied en position « correcte ». L’attelle ne lâchera pas le pied du patient. Mais elle représente elle aussi un deuil à faire pour le patient.(Voir III.4.4)
En revanche on va utiliser la correction par attelle qui elle est bien plus performante que l’attention pour placer le pied en position « correcte ». L’attelle ne lâchera pas le pied du patient. Mais elle représente elle aussi un deuil à faire pour le patient.(Voir III.4.4)
Analyse Quantifiée de la Marche
L’analyse Quantifiée de la marche fait
partie des apprentissages globaux par attention interne. Dans un test de 10
mètres on est en démonstration. On se plie à une consigne, on est acteur d’une
scène qui ressemble plus à du cinéma qu’à de la kinésithérapie qui partagent il
est vrai la même étymologie. Le patient acteur se plie au désir du kiné
réalisateur. Il joue à un jeu de simulacre (Caillois). On est donc dans une
circuiterie cérébrale différente d’une marche fonctionnelle de 10 mètres où l’on
se lève du canapé pour aller se servir un verre d’eau à la cuisine. Il faudrait
donc laisser les tests pour ce qu’ils sont, une indication parmi d’autres. Parmi
eux, l’Analyse Quantifiée de la marche a pris une importance considérable à cause
de la complexité de la mise en œuvre qui lui confère un gage de haute scientificité.
‘(Voir Autret II.2.1 : plus le traitement est complexe, plus il est « efficace »).
Chacun pense qu’on va réellement analyser cette marche et détecter ce qui ne va
pas pour le corriger ! Or le nombre
d’électrodes est faible compte tenu de la complexité des synergies mises en
jeux dans les différentes phases de la marche. Et surtout, la distance d’étude
est très courte et permet au patient de marcher en attention focalisée.
Pour qu’elle soit plus intéressante, il faudrait
la faire intervenir à l’issue d’un six minutes fait à pleine vitesse pour voir quelles
sont les synergies utilisées quand il est fatigué. Il faudrait ensuite lui demander
de couvrir ces dix derniers mètres à pleine vitesse pour étudier les synergies
qui se développent en attention externe.
En fait, l’analyse « quantifiée » de la marche nécessite
un simple chronomètre pour mesurer une vitesse sur une distance ou pour compter
le nombre de pas sur une distance. Mais il est plus intéressant de mesurer le nombre
de pas sur 100 mètres que sur 10. On devrait débaptiser l’analyse quantifiée de
la marche pour l’appeler l’analyse « qualifiée » de la marche. Ce qu’elle
est réellement, car c’est bien à la qualité de la marche que s’attachent les observateurs.
Mais cela entacherait de subjectivité sa représentation scientifique. ». Ressortirait
alors le versant esthétique de l’examen qui cherche à corriger les « défauts »
(en vérité des déficiences). La correction des défauts colle parfaitement au
projet du patient (ou des parents dans les cas d’IMC) mais est-ce si objectif
que cela parait ?
Par ailleurs les traitements qui découlent
de cet examen sont de deux ordres :
- Allongements tendineux qui peuvent être
déterminés par des examens d’amplitudes en charge.
- ou diminution de synapses par toxine ou neurotomie
qui viennent enlever des plaques motrices actives à quelqu’un qui en est déjà
fort dépourvu. Alors que le pari de la rééducation intensive c’est d’utiliser
toutes les plaques motrices existantes pour les éduquer et élever par la répétition
leur seuil d’excitation à la spasticité. (Voir plus bas). On ne peut pas d’un
côté prétendre à la plasticité cérébrale par synaptogénèse et vicariance et
décréter péremptoirement que telle ou telle plaque motrice n’a plus le droit de
vivre ! De plus, on connait très bien à l’avance les sites que l’on veut détruire
partiellement : adducteurs, ischio-jambiers, triceps suraux. La piste AQM
de 10 mètres est loin d’apporter les éléments qu’apportent un 6 minutes à
pleine vitesse ou un examen de postures d’étirements. Mais il renforce la
confiance du patient dans la décision médicale.
[5]
http://canadianstrokenetwork.ca/fr/wp-content/uploads/2014/08/GettingOn-FR.pdf
[6]
[6]
Marsal, C. (2013). AVC et réentrainement à l’effort par la marche. Kinesitherapie, la revue, 134(13),
16-17.
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